Résumé de l'article
publié dans les Cahiers du Monde russe, 41/4, octobre-décembre
2000, pp. 615-628.
LA COLONIE FRANÇAISE ET LÉGLISE
CATHOLIQUE DE MOSCOU À LA FIN DU XVIIIe
*
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Sous le
règne de Catherine II apparut à Moscou une importante colonie
française, véritable communauté ethnique et
confessionnelle qui devait son existence aux facteurs suivants :
1. la
relative unité confessionnelle des Français de Moscou ;
2.
luniformité de leur statut social, due en grande partie à
léloignement de la Cour et des principales instances
gouvernementales ;
3. le
degré dintégration minimal des Français dans les
structures dÉtat
4. la
forte concentration des Français dans deux quartiers de Moscou, la
Lubjanka et à un degré moindre, le Faubourg des
Étrangers ;
5. le
statut élevé et pour ainsi dire la visibilité des
Français en Russie, ce qui garantissait à la colonie dans son
ensemble et à chacun de ses membres en particulier une identité ethnique positive et qui par cela même
renforçait la tendance au repli sur soi des Français de Moscou.
La
colonie avait son emblème, léglise catholique
Saint-Louis-des-Français, qui fut instrumentale dans sa formation et
dont on doit la fondation à quelques familles influentes de la colonie,
au vice-consul de France et, naturellement, aux ecclésiastiques
français. En août 1789 tous les Français de Moscou
reçurent une invitation à une assemblée
générale dans laquelle il était question de
régler la communauté Catholique françoise,
séparée des autres par la permission de Mgr. lArchevêque
de Mohilew ; une telle réunion doit flâter
les françois jaloux de conserver lintimité nationale , et
la communauté pourra ainsi avoir son prêtre, ses
registres ; [] suivre ses usages pour le service divin et []
éviter à lavenir les contestations qui naissent naturellement de
la différence du génie de 4 nations melées
ensemble .
Le
premier prêtre de la nouvelle église fut labbé Pesme de
Matignicourt, originaire de la région de Châlons-sur-Marne. La
consécration de la chapelle installée dans un premier temps au
domicile du vice-consul de Bosse eut lieu le 10 mars 1790. Elle fut suivie par
l'arrivée de trois nouveaux prêtres, les abbés Pons,
Girardin, ce dernier également originaire de Châlons-sur-Marne, et
Chisolat (?). Peu de temps
après fut acheté à M. Protasev un bâtiment
situé dans le quartier de la Stretinka dans la rue Lubjanka et sur
lemplacement duquel se trouve lactuelle église Saint-Louis.
Léglise fut consacrée le 30 mars 1791 en présence
de la colonie française et avec la participation de la noblesse
russe .
La
pension privée pour les enfants de laristocratie fondée à
Saint-Pétersbourg en 1794 par labbé Nicolle ne pouvait
accueillir tous les prêtres émigrés et suffisait à
peine à remplir sa fonction de point de transbordement pour les ecclésiastiques français
qui, après une longue chevauchée à travers lEurope, pouvaient y reprendre leur souffle et
saccoutumer à leurs nouvelles conditions de vie. Les prêtres
enseignants de la pension partirent donc les uns après les autres faire
usage de leurs talents à Moscou où, contrairement à
Saint-Pétersbourg, il y avait une église française ! Partirent ainsi pour lancienne capitale
les prêtres Septavaux, Surruges, Gohier, Fromont Cependant, la nouvelle
église ne pouvait pourvoir aux besoins de tous. Par bonheur, les
ecclésiastiques français connaissaient un succès
considérable auprès de laristocratie à laquelle ils
fournissaient des précepteurs
pour sa jeune génération : Surruges trouva refuge
auprès du comte A. I. Musin-PuÒkin, Septavaux auprès de la
famille KoÒelev, Billy auprès du prince P. I. Odoevskij, Kien
auprès de la famille Bodisko, Moisant auprès de la princesse E.
A. Labanova, Perrin auprès de la générale
Černyševa et Florentin auprès du prince G. Galicyn.
Les syndics,
à qui incombait la gestion de léglise, furent élus
à Pâques en 1791 : deux dentre eux, à savoir
larchiprêtre Martignicourt et le vice-consul de Bosse, étaient
membres permanents, six appartenaient au groupe des résidents permanents
de Moscou ; quant aux adjoints, six étaient résidents
permanents, et six autres vivaient à Moscou temporairement. Parmi les
premiers syndics de léglise et parmi ceux dont la signature figure au
bas des documents relatifs à sa fondation, on trouve des
commerçants tels Jean Larmée, venu de Paris en 1775 et inscrit
à la guilde marchande de
Moscou ; ou bien le grenoblois Jacob Rejoly, également inscrit
à la guilde de Moscou en 1774 ; ou François-Dominique Riss,
natif de Strasbourg, qui allait devenir lun des plus illustres libraires de
Moscou ; le marchand Antoine Gambotti, de nationalité
italienne mais participant activement à toutes les affaires de la
colonie, établi à Moscou depuis au moins les années
1770 ; le chevalier Jean Desessart, aventurier et écrivain
français, en Russie depuis 1760, ancien précepteur auprès
de K. G. Razumovskij ; il avait connu I. I. Šuvalov et aurait
écrit un ouvrage prorusse sur linitiative de celui-ci ; parmi
les premiers syndics on trouve même des maîtres des pensions
moscovites, des fondateurs de familles russes tels Philippe-Auguste Delesalle
et Louis-Noël Deforceville, installés à Moscou depuis les
années 1770. Ce sont clairement des Français établis
à Moscou depuis relativement longtemps et pour sans doute longtemps.
Léglise devint peu à peu
un instrument de domination sur la
colonie dautant plus effectif que les Français dépendaient
beaucoup delle et quelle était elle-même plus libre de ses actes. La question de la
démarcation entre les deux paroisses, la nouvelle
église Saint-Louis et lancienne église des
Saints-Apôtres-Pierre-et-Paul fondée sous Pierre le Grand, finit
donc par se poser. Le débat occasionna de grandes pertes
dénergie de tous côtés.
Il
nest pas aisé détablir la composition nationale de lancienne
paroisse catholique. Dans le Moscou de la fin du XVIIIe
siècle, la colonie la plus nombreuse était bien sûr la
colonie allemande. Depuis la fin du XVIIe siècle les
Allemands étaient regroupés en quatre paroisses : deux
luthériennes (Ancienne et Nouvelle), une réformée et une
catholique. La majorité dentre eux appartenait à lAncienne et
à la Nouvelle paroisses autour respectivement des églises
Saint-Michel et des Saints-Apôtres-Pierre-et-Paul. En outre, il est
intéressant de constater que jusquà la deuxième
moitié du XVIIIe siècle le pasteur de la
première venait du nord de lAllemagne et celui de la
deuxième, du sud, ce qui nous informe sur la composition de ces
paroisses. La paroisse réformée sappelait aussi hollandaise , à cause
sans doute du rôle important quy avaient joué autrefois les
Hollandais. Cependant, dès 1744, la langue utilisée pour le culte
était non pas le hollandais mais lallemand, à la demande des
paroissiens eux-mêmes, et à partir de 1768 on utilisa aussi
le français, ce qui reflète les changements intervenus dans la
composition nationale des fidèles de cette église. En 1795,
léglise réformée comprenait 183 Allemands, 130 Suisses,
119 Anglais, 76 Français, seulement 14 Hollandais et 6 Hongrois. Il est
toutefois possible dévaluer la composition nationale de lancienne
paroisse catholique indirectement, à partir du nombre de baptêmes
à léglise catholique des Saints-Apôtres-Pierre-et-Paul
pendant la période précédant la fondation de léglise
Saint-Louis-des-Français. Sur la base phonétique des noms de
famille des parents de lenfant et de ses parrain et marraine au baptême
(comme cétait la règle à lépoque,
cétaient les représentants dune seule nation), nous obtenons
les chiffres suivants (les enfants de parents inconnus ne sont pas pris en compte) : en
1783, 14 enfants naquirent de parents français, 6 de parents italiens et
14 de parents dautres nationalités (dans le nombre de celles-ci
dominent les noms à consonance clairement allemande tels von Berg, Hening, Fischler, Sedelmeyer, Vonderstam, etc.). En 1784, naquirent 17 enfants de parents
français, 6 de parents italiens et 18 de parents dautres
nationalités. Les chiffres de 1785 donnent 21, 4 et 18, ceux de 1786,
21, 6 et 16, ceux de 1787, 16, 8 et 16, ceux de 1788, 25, 7 et 15, et ceux de
1789, 20, 11 et 13. On peut ainsi
supposer quau moins la moitié des membres de cette paroisse
était francophone.
Cest
pour cette raison que la réaction des prêtres de lancienne
église des Saints-Apôtres-Pierre-et-Paul au projet de
séparation des fidèles fut des plus négatives comme
latteste le ton souvent insoutenable de leur correspondance. En 1790, Schauer, le prêtre de
cette église, convaincu que le mariage des époux Jonquin aurait
dû être célébré dans son église
(puisque la fiancée était allemande et quil était son
curé) alors quil avait été célébré
par le prêtre de léglise Saint-Louis, écrivit à
Pesme de Martignicourt :
Cest
à vous à finir cette affaire et moi je vous prie de me laisser
tranquille sur ce point. À moins que vous ne vouliez absolument forcer
la chasse par la guerre, dont vous menacer les Pères de notre
Église, mais dans ce cas nous nous défendons a merveille [].
Quant aux termes odieux dont se sert labbé Martignicourt pour qualifier
les motifs dont un petit nombre de francais est poussé pour sopposer a
votre établissement que lui nomme si utile, javoue moi même que
ces mêmes motifs sont odieux pour bien des personnes qui sont lobjet de
cette haine.
En
janvier 1792, larchevêque Stanislav Sestrencewicz écrit :
Ces fréquentes réponses que je suis obligé de vous
faire me causent moins dennui que de chagrin la difficulté
quéprouve la division des paroisses et qui se manifestent dans les
explications itérativement demandées à moi et au
consistoire . Troublé par lardeur des passions soulevées
parmi les laïcs, larchevêque exhorte les prêtres, au nom du
Christ, à nêtre motivés dans cette affaire que par
linstruction et lédification
du peuple. Mais la réalité était bien
éloignée des vœux du représentant de léglise
catholique russe. Afin de faire cesser définitivement fausses rumeurs,
malentendus, discussions et querelles, Sestrencewicz ordonne dans la même
lettre datée du 31 janvier 1792 :
1.
Les sujets du Royaume de France composeront la nouvelle paroisse ; 2. Tous
les autres catholiques appartiendront à lancienne ; 3. Parmi ces
derniers ceux des pays desquels la langue Françoise est vulgaire et qui
pourraient en parler une autre, l'Allemande par exemple, auront la
liberté de s'en choisir une entre les deux paroisses, et ne pourront
abandonner celle quils auront choisie une fois.
Enfin, au milieu de 1792,
larchevêque Sestrencewicz ordonna la séparation des deux
paroisses catholiques de Moscou en une française et une allemande,
cest-à-dire une séparation basée strictement sur la
nationalité. Dans lensemble, cela faisait le jeu des prêtres
français :
1. cela
leur était favorable dun point de vue matériel puisque la
prospérité dune
église dépend naturellement du nombre de paroissiens et de leur aisance, et comme nous
lavons montré, les Français étaient très nombreux
dans lancienne paroisse catholique ;
2. cela
était très important pour les ecclésiastiques et les
familles établis à Moscou qui étaient peu pressés
de sassimiler : la séparation de la paroisse permettait
vraisemblablement de ralentir le processus inexorable de lassimilation ;
3. les
avantages se présentaient sous dautres aspects : par exemple,
les prêtres français nétaient pas obligés de
prêcher en allemand sil ny avait pas dAllemands dans léglise
(pratiquement aucun membre du clergé français ne possédait
dautres langues vivantes en plus du français).
La prescription de larchevêque fut mise
à exécution avec zèle. Il fut décidé
dexclure du groupe des syndics lItalien Gambotti malgré le fait
quétant indubitablement francophone, il avait été inclus
dans la liste des Français résidant à Moscou par le
vice-consul de France en 1777. Ce document plus tardif publié dans le
recueil Documents officiels, op. cit., est daté de 1803,
cest-à-dire que onze ans de vie de la communauté sont
littéralement tombés dans loubli. Aussi étrange que cela
puisse paraître, ces années effacées de la mémoire
de la communauté catholique ont peut-être été les
plus importantes de son existence. On ne peut les comparer en importance
quavec les épreuves subies par
les Français pendant la Guerre patriotique de 1812.
Lirritation
des prêtres de léglise des Saints-Apôtres-Pierre-et-Paul
était plus ou moins directement proportionnelle au nombre de
fidèles qui leur furent arrachés . Cest que le choc
se fit durement ressentir. Au cours des années qui
précédèrent la fondation de léglise Saint-Louis,
le nombre de baptêmes à léglise des Saints-Apôtres-Pierre-et-Paul
était denviron 45 par an, avec un pic en 1788 où il atteint 50.
Ce chiffre tombe à 32 en 1791 lorsque léglise Saint-Louis
commença à fonctionner et même à 27 en 1792, ce qui
représente une baisse de moitié en quelques années. Par
contre, il y a de plus en plus de baptêmes à léglise
Saint-Louis : 12 en 1790, 27 en 1791, 29 en 1792. Lannonce faite en
août 1792 pendant lun des services sur la séparation des
paroisses catholiques ne fit donc quentériner un processus qui battait
déjà son plein. Fait intéressant, le nombre global de
baptêmes dans les deux églises augmente chaque année :
56 en 1790, 59 en 1791 et 66 en 1792, et ceci pour le compte de léglise
Saint-Louis.
Lâge
dor de la colonie française de Moscou faillit sinterrompre brutalement
juste après sa naissance : la nouvelle de lexécution
de Louis XVI arriva en Russie au début de 1793. La cour prit le deuil et
selon certains témoins Catherine II salita lorsquelle apprit la
nouvelle. La colère de limpératrice ne se fit pas attendre et
éclata sur ceux qui, bien que peu
impliqués dans ces événements, étaient plus
accessibles et plus vulnérables que les régicides.
Loukase
du 8 février 1793 suspendit la validité de laccord commercial
passé entre la France et la Russie en 1786, interdit lentrée des
ports russes aux vaisseaux français, expulsa les diplomates
français hors des frontières de lempire et, dans ce qui
était sans doute son article principal,
obligea les Français à faire serment de fidélité
à la royauté sous menace dêtre expulsés de Russie.
On prêtait serment à léglise, on embrassait la croix,
après quoi on recevait une sorte de permis de séjour.
Il ny
avait pas de motivation religieuse dans la réaction du pouvoir. Depuis
Pierre le Grand lexercice dautres religions ne faisait plus lobjet daucune
restriction, et la seule limitation qui y fût portée est
peut-être linterdiction faite aux orthodoxes sous le règne dAnna Ivanovna de changer de confession et
linterdiction de faire du proséyitisme. Il ny avait bien sûr pas
de liberté religieuse totale,
les intérêts de léglise orthodoxe étant
protégés par les lois de lempire, ce qui constituait notamment
lun des obstacles à lintégration politique des
étrangers.
Nous ne
pensons pas nous tromper en disant quil y eut un moment où on regardait les Français de Russie dun
œil cynique et quon les considérait en quelque sorte comme des
otages qui pourraient à loccasion devenir les instruments dun jeu
politique. Bien que le mot otage
lui-même ne fût pas prononcé aussi ouvertement que sous le
règne dAlexandre I, lidée simpose delle-même. Ainsi, la
position des Français de Russie semblait fatalement dépendre de
la politique extérieure du moment, du cours des événements
dans leur mère patrie. Cependant, les mesures prises ne le furent-elles
que pour des raisons extérieures ?
La
colère de limpératrice ne salimentait pas que de rumeurs. Il y
avait aussi des faits qui désignaient directement certains
Français de Russie. Plusieurs libraires français de Moscou tels
les frères Gay ou Courtener vendaient ouvertement des collections de
numéros des Révolutions de
France et de Brabant, le journal de Camille Desmoulins, et des pamphlets
politiques tels que Sur la liberté
de la presse de Mirabeau, ou des estampes représentant la prise de
la Bastille, etc..
Les
crimes des Français ne se limitaient malheureusement pas à
cela ! Au cours de l'enquête menée en 1792 sur les
activités de N. I. Novikov, de la Compagnie typographique et des
francs-maçons moscovites en général, il fut établi
que Novikov et ses frères maçons recevaient des livres
étrangers par lintermédiaire des libraires moscovites Bieber et Uthof qui, apparemment,
nétaient pas français. Ces ouvrages, qui comprenaient certains
titres interdits, furent découverts chez pratiquement tous les
libraires, y compris sans doute les Français. Par un heureux concours de
circonstances, les francs-maçons du cercle de Novikov nentretenaient
pas de relations avec les francs-maçons français de Moscou car
ils considéraient le système maçonnique français
comme un divertissement frivole.
Cependant,
la police était déjà informée de lexistence
à Moscou dune loge maçonnique française, la
Réunion des Étrangers dont le grand maître était le Français Mangeot
et dont les membres appartenaient à lélite marchande de la
colonie. Il est permis de supposer que cette loge était devenue une
sorte d'état-major pour les commerçants étrangers en
concurrence avec les commerçants russes sur le marché moscovite,
servant ainsi de contrepoids à la classe marchande moscovite nos
ennemis jurés , selon lexpression de lun des commerçants
français, par ailleurs membre de la loge dans laquelle
cétaient bien sûr les marchands russophones qui menaient le bal.
Il nous importe que les mots loge
maçonnique française aient été prononcés
et ne soient pas passés inaperçus. Dautant plus que cest le
prince A. A. Prozorovskij, commandant en chef de Moscou, qui menait
lenquête sur les activités de Novikov. Cest sous son mandat que
furent exécutées les mesures prises par le pouvoir russe contre
la colonie française.
A la
prestation de serment et au recensement de la colonie, un oukase
impérial de 1793 vint ajouter
un changement radical au statut de léglise Saint-Louis à qui il
fut désormais interdit de sappeler française.
Son supérieur fut de fait subordonné à celui de
léglise des Saints-Apôtres-Pierre-et-Paul. Les sermons durent
être prononcés dans les deux églises aussi bien en allemand
quen français. Le point le plus important était la fin de la
séparation des fidèles par nationalité et de
ladhésion à lune ou lautre des paroisses : les Français
pouvaient aller librement à léglise des
Saints-Apôtres-Pierre-et-Paul, sy marier et y faire baptiser leurs
enfants côte à côte avec les Allemands, les Italiens, les
Polonais, écouter les sermons en français et en allemand, ce qui
engendra fatalement des contacts
plus animés avec les autres colonies étrangères de
lancienne capitale. Ainsi, beaucoup de mesures furent-elles prises dans le but
daccélérer de gré ou de force le processus dassimilation
des Français et dentraver la constitution dune colonie
organisée.
La
même année, le premier archiprêtre de léglise
Saint-Louis, Pesme de Martignicourt, fut expulsé de Russie. Une lettre
du prince A. A. Prozorovskij, gouverneur militaire de Moscou, adressée
à larchevêque Sestrencewicz, donne une idée des
circonstances de cette expulsion :
Son excellence monseigneur larchevêque de
léglise catholique romaine de Mohilev. Monseigneur ! Vous avez
déjà pris connaissance de loukase de Sa Majesté
lmpériale concernant lexpulsion des Français hors des
frontières de lEmpire de Russie par sa Majesté, à lexception de ceux qui
prêteront serment selon la forme prescrite. Cet oukase a
déjà été appliqué dans la ville capitale de
Moscou, et comme je me trouve ici présentement, j'ai reçu un
rapport du gouverneur dans lequel il m'explique entre autres choses
qu'après la convocation par l'administration de la province des
ecclésiastiques catholiques nés au royaume de France, en premier
lieu du nommé Mauer, né à Strasbourg et curé de la
ci-devant église catholique Saints-Pierre-et-Paul et en second lieu de
l'abbé Pesme de Martignicourt de la nouvelle église et en
troisième lieu de Moisant, le nouveau prêtre auquel Votre
Excellence avez confié la paroisse et qui a quitté la France
après le début des troubles et qui avait refusé de
prêter le serment établi pour le clergé par
l'Assemblée Nationale. Les deux premiers d'entre eux, après avoir
entendu la lecture de l'oukase en français et du serment,
expliquèrent que ce serment allait à l'encontre de leur
conscience, ce qu'ils attestèrent par écrit ; aussi le
gouverneur leur interdit-il, en raison de leurs idées
dépravées, de dire la messe et de prêcher, au lieu que le
troisième, Moisant, a prêté serment et restera en Russie.
Cependant, l'abbé Martignicourt a eu l'audace d'écrire à
Sa Majesté Impériale afin d'objecter contre la loi que Sa
Majesté a édictée pour tous les Français. Sa Majesté, informée sur tout ceci
par mes soins, a donné l'ordre de les expulser tous les deux, bien que
Mauer eût par la suite exprimé le désir de prêter
serment, mais sa Majesté le lui refusa. Quant à la conduite
passée de l'abbé Martignicourt dans l'église nouvellement
consacrée dont je vous ai entretenu dans mes précédentes
missives, je vous refais part ici de mes conclusions, à savoir que
l'abbé Martignicourt ne l'a pas consacrée pour la prière,
mais pour servir sa propre ambition, voire à d'autres mauvaises fins,
c'est pourquoi il a voulu réunir en un seul lieu tout ce qui est, pour
la plupart, la canaille française.
Pour ce faire il a cru que le meilleur moyen était de la
réunir autour de l'église sous prétexte de restaurer la
foi catholique, d'où il s'en serait suivi une colonie, selon le terme
dont il use, qu'il eût commandée et administrée ;
cette église n'a jamais respecté la bienséance
nécessaire : dans son enclos on avait ouvert une prétendue
pension qui offrait le couvert, des boissons, le café et le thé
et où chacun venait lire les gazettes et les journaux ainsi que pour
tenir des discours politiques, de sorte qu'elle ressemblait davantage à
une auberge ou à un garni qu'à une maison de Dieu.
La liste des pièces
à conviction dont il est douteux quelles aient été
vérifiées est cocasse, mais elle correspond à la
conception que se faisait Prozorovskij dune auberge et dun garni : le
thé et le café y figurent au même titre que les journaux et
les discussions politiques. Il se peut que Prozorovskij mentionne les
autres mauvaises fins , et non pas seulement l'ambition du
prêtre pour justifier son expulsion. Bien quobscure, la phrase va droit
au but : alors quil est question tout autour dun espion
français qui complote contre la santé de Sa Majesté,
quelles fins, sinon mauvaises, peuvent bien motiver ses compatriote?
La
lettre indique clairement que Prozorovskij avait plus dune fois
mentionné la conduite de labbé Martignicourt à
larchevêque ( je vous ai tenu informé... ,
écrit-il) : il observait donc labbé et léglise
depuis bien avant 1793. Autrement dit, en 1792, il menait une enquête sur
les activités des francs-maçons moscovites tout en surveillant
léglise qui venait de se former et les ecclésiastiques
français fraîchement arrivés. On ne peut insister sur ces
activités parallèles sans avoir à lesprit la vigilance naturelle
pour laquelle Prozorovskij fut honoré du poste de gouverneur militaire
de Moscou. Quoi quil en soit, la question demeure pour linstant ouverte.
La
décision de supprimer léglise Saint-Louis en tant
quéglise française eut des conséquences graves et
durables. Si pour le gouvernement cette mesure était dordre purement
politique, elle produisit un choc psychologique sur les familles
françaises qui formaient le noyau de la colonie et qui avaient
participé activement à la création de cette église
en tant quéglise française.
Il
apparut bientôt que cette mesure navait rien de symbolique. Alors quil
y avait eu 29 baptêmes à léglise Saint-Louis en 1792, il y
en avait déjà 25 en 1793, 23 en 1794, à peu près 20
en 1795 et 1796, et seulement 8 en 1797. On constate la même baisse dans
les mariages : il y en eut 5 en 1790 lors de louverture de
léglise, 8 en 1791, 6 en 1792, et seulement 5 en 1793, 4 par an dans le
courant des trois années suivantes, et un seul en 1797. Pendant cette
période, léglise des Saints-Apôtres-Pierre-et-Paul
recouvre ses anciens chiffres : de 27 baptêmes en 1792, elle
passe à 42 en 1797. Après 1790, année de la fondation de
l'église française, beaucoup de familles françaises firent
baptiser leurs enfants à l'église des
Saints-Apôtres-Pierre-et-Paul : les La Fontaine, Urbain,
Mersane, Michel, Boromé, Prori, Bordenave, Messonnier, Richet, Lacroix,
d'Aston, de le Roux, Courtener, Delesalle, Mathieu, Friquet, Le Febvre,
Benoît, du Rosay, Gontier, Pons Perloup, Gautier, Gadaine, etc. Un bon
nombre d'entre elles étaient d'anciens éléments de la
colonie. Il semble que nous soyons en présence d'un reflux d'une partie
des fidèles vers l'ancienne église des
Saints-Apôtres-Pierre-et-Paul. Cependant, la paroisse de l'église
Saint-Louis n'a certes pas perdu son caractère fondamentalement
français : en 1796, environ 450 personnes, apparemment toutes
françaises, s'y sont confessées. Que se passe-t-il donc dans la
colonie ?
Vers
1793, le groupe le plus important de la colonie (pas moins de 20 %)
était constitué de jeunes nés en Russie de parents
français. Leur relation à leur pays dorigine était-elle
moins passionnée, les mariages mixtes étaient-ils plus
fréquents ? Quest-ce qui les poussait à se tourner
vers lautre église catholique, plus ancienne et moins
marquée dun point de vue
ethnique ? A la fin du XVIIIe siècle
on ne peut raisonnablement pas parler de brassage avec la population russophone
ni même à plus forte raison dintégration des
Français au groupe des étrangers de Moscou : les
Français se mariaient entre eux dans la mesure où cela était
possible.
Les
événements de 1793 se répercutèrent
inévitablement sur limage que les Français de Russie avaient
deux-mêmes : pour beaucoup dans la société
limage du Français comme lEuropéen le plus
éclairé fit place à celle dun barbare. Cette année-là,
les Français se sentirent pris en otage par la grande politique et le
sentiment de sécurité ethnique qu'ils éprouvaient
jusqu'alors se brisa.
On ne
peut non plus ignorer un autre facteur, à savoir la
précarité matérielle de la nouvelle église. En 1797
justement, léglise aurait cessé dappartenir à la colonie
française comme cela avait été stipulé dès
le début, si Deleau, lun des syndics, navait sur ses propres deniers
sorti léglise de lengrenage de ses dettes et ne lavait
restaurée.
Ce qui
suit démontre concrètement le rôle que jouait le choix de
lune ou lautre des deux églises catholiques dans la vie dune famille
française à Moscou. Parmi les seize enfants de Philippe
Delesalle, lun des premiers adjoints du groupe des syndics de léglise
Saint-Louis, nous distinguons deux fils qui eurent une nombreuse descendance.
Les
deux frères Delesalle, Joseph et Gabriel, débutèrent dans
la vie de façon différente. Joseph sengagea dans la fonction publique et Gabriel ouvrit une pension
française à Moscou. Les premiers enfants de Gabriel furent
baptisés à léglise des
Saints-Apôtres-Pierre-et-Paul, mais après louverture de
léglise Saint-Louis, les baptêmes de ses autres enfants eurent
lieu uniquement dans la nouvelle église, léglise française. Joseph fit tout
à lopposé de son frère : son épouse
étant luthérienne, il fit baptiser tous ses enfants à
léglise des Saints-Apôtres-Pierre-et-Paul, même lorsque
tous les Français adhéraient à léglise
française.
Les
parrains et marraines jouent ici un rôle des plus importants. Sur les
sept enfants de Joseph quatre furent portés sur les fonts baptismaux de
léglise des Saints-Apôtres-Pierre-et-Paul par les protecteurs
haut placés de la famille, Petr Fedorovi Balk-Polev et Elena Sergeevna
∑eremeteva. La mère de Petr Fedorovič Balk-Polev, Praskovja
Sergeevna ∑eremeteva, était la sœur de la moniale Elena
Sergeevna Šeremeteva : Petr Fedorovi Balk-Polev était
donc le neveu de celle-ci. Lun des enfants de Joseph, Petr Delesalle,
participa aux campagnes étrangères de larmée russe
pendant la Guerre patriotique de 1812. Il épousa en secondes noces
Sofja Nikolaevna Durnovo.
Les
relations des Delesalle et des Šeremetev se prolongeaient en dehors de
léglise : en 1793, lorsque les Français tremblaient
sous la menace de répressions de la part du pouvoir, Vasilij
Sergeevič Šeremetev, le frère des personnes citées
ci-dessus, qui était gouverneur de Volynie, prit Joseph à son
sevice et le fit sortir de Moscou.
Nous
sommes donc en présence dun mouvement centrifuge qui eut pour
résultat lassimilation rapide de membres de la colonie. Nous
résumons ci-dessous les facteurs qui déterminèrent le type
et la vitesse de ce processus d'assimilation.
Dun
côté, cest la peur de payer plus ou moins cher les
activités de leur compatriotes en France, le désir naturel de se
protéger durablement, ainsi que leur famille, de possibles attaques dont
la colonie pourrait à tout moment être la cible dans le cas
dévénements en France peu souhaitables pour la couronne russe.
De
lautre côté, ce sont bien sûr les contacts avec
laristocratie russe qui ont influé sur le changement du précieux
statu quo : le travail dans la famille dun noble ou la protection
dune famille française par la famille dun haut dignitaire.
Ce
nest pas un hasard si chez les Delesalle, cest précisément la
famille de Joseph qui fit les premiers pas vers lassimilation. La famille prit
la nationalité russe en 1807 et les mariages des enfants
témoignent de leur volonté de sintégrer pleinement dans
la société russe. Immédiatement après la fin de la
Guerre patriotique de 1812, Joseph tenta de se faire anoblir pour les services
quil avait rendus à sa nouvelle patrie pendant la guerre. Sous le
règne de Paul Ier, un membre de la famille Delesalle
travailla comme traducteur dans le service du chef de police moscovite F. F.
Ertel. Il était également chargé de missions
secrètes dont la filature des étrangers suspects de Moscou (O. A.
Ivanov, Tajny staroj Moskvy (Les secrets du vieux Moscou), Moscou,
1997, p. 74). Il ne faut pas oublier le patriotisme qui
prévalait dans la colonie française de Moscou à la fin du
XVIIIe siècle, car lidée de prendre ses compatriotes
en filature ne serait pas venue à lidée de tous les
Français. Un tel travail ne pouvait seffectuer quà la condition
quune grande distance psychologique séparât la personne en
question du groupe. Joseph Delesalle séloigna de la colonie (ou en
fut-il éloigné?) grâce à son mariage avec une
luthérienne et grâce à sa fonction dans les structures
dÉtat situation rare à lépoque pour un simple citoyen
français vivant à Moscou et grâce à sa longue
absence de la capitale. De tous les Delesalle, cest justement lui qui aurait
fait un candidat idéal à un poste dans la police.
Les
descendants de Gabriel restèrent à Moscou où ils tinrent
des pensions françaises pendant plusieurs générations. Ils
continuèrent à faire baptiser leurs enfants à
léglise Saint-Louis. Les descendants de Joseph vécurent à
Saint-Pétersbourg et se convertirent à lorthodoxie. Certains
parvinrent au grade de
général et lun dentre eux fut à la tête de
lIntendance du Palais dhiver impérial.
Ainsi,
le choix de lune ou lautre des deux églises catholiques de Moscou
était-il dune importance capitale pour les Français.
Léglise Saint-Louis était à lépicentre de la vie
de la colonie (rappelons que le gouverneur militaire de Moscou lassimilait
à un club français) et pour une famille française, le
passage à une autre église était significatif : il leur offrait la
possibilité de quitter la colonie sans pour autant couper les ponts. Que
ces Français aient désiré sassimiler plus vite ou naient
songé quà leur sécurité personnelle et leurs
intérêts est dune importance secondaire, car si lon
considère la chose dun point de vue objectif on voit quils
sengageaient sur la voie de lassimilation.
Ni les
prêtres ni les grandes familles de la colonie ne voulaient accepter de
telles fuites . Une note ajoutée à la lettre de
l'archevêque métropolitain Sestrencewicz du 31 janvier 1792,
déjà citée,
rétablit la division des paroisses annulée par loukase
impérial de lannée 1793. Or apparemment cet empressement de
larchêveque na pas été approuvé par le pouvoir
civil, si l'on en juge daprès cette phrase de la supplique qu'un syndic
de léglise Saints-Pierre-et-Paul adresse à lempereur
après 1801 : On a obéi aux ordres de Monseigneur
Métropolite donnés le 5
septembre 1800 qui divise sa Paroisse, supposant quil en avoit le
pouvoir . La tentative suivante de rétablir la séparation
des deux paroisses catholiques eut lieu déjà sous le règne
dAlexandre Ier. Presque au lendemain de son avènement, le 1er
avril 1801, lévêque Benislawsky prescrit dans sa lettre de
revenir à la démarcation des paroisses selon les principes
établis par Sestrencewicz en 1792.
Le même syndic de léglise Saints-Pierre-et-Paul,
sadressant à lempereur, invoque encore une décision allant dans
ce sens : Un dernier ordre de Monseigneur lÉvêque de
Gadar vise a détruire entièrement notre Église permettant
à tous ceux qui parlent la langue Françoise dêtre de la
paroisse de St. Louis . Détruire économiquement, bien
entendu, car léglise Saints-Pierre-et-Paul avait peu de moyens de
subsistance en dehors des dons de ses paroissiens dont les Français
constituaient une part non négligeable. Ainsi, bien que voulue par le
pouvoir spirituel, la séparation a toujours été
rejetée par les prêtres de la première église
catholique de Moscou (Polonais ou allemands pour la plupart ; cependant il
y eut aussi un prêtre français qui fut vicaire de léglise
Saints-Pierre-et-Paul en 1799, labbé Baltus) et le moyen de
cesser le différend na fait que verser de lhuile sur le feu. Le
nouveau prêtre de léglise Saint-Louis, Gohier, échangea
nombre de propos aigres-doux avec Peschke, le supérieur de
léglise catholique de Moscou. Nous citerons enfin lexemple des syndics de léglise Saint-Louis qui, devant
limpossibilité de départager plusieurs défunts que la
colonie revendiquait mais dont loffice avait été
célébré à léglise Saints-Pierre-et-Paul,
écrivirent une lettre à cette église dans laquelle ils
rappelaient en termes retenus mais caustiques le nombre de lances rompues lors
des funérailles du comte Gilli dont même les prêtres de
léglise allemande Saints-Pierre-et-Paul avaient fini par reconnaître
que cétait un paroissien de Saint-Louis. Les funérailles dune
certaine Madame Cozdier, disparue en 1802, déclenchèrent un
nouvel orage. À cette occasion, les syndics de Saint-Louis (Deleau, de
Ronca, dHorrer, Lallié et Savi) écrivirent dans une lettre
datée du 18 janvier 1802 :
Si le désir de maintenir la paix, et déviter toute occasion de scandale, nous empêche de revenir sur une chose passée, nous nen devons pas moins tâcher de prévenir, pour la suite, de pareilles entreprises : nous vous prions donc, Messieurs, de nous rassurer a cet égard, pour lavenir, par une réponse par écrit, dont vous voudrez bien nous honorer ; soiez assurés que nous nous ferons toujours un devoir dépuiser les voies de douceur, et que nous serions infiniment peinés dêtre obligés à recourir aux moiens de rigueur pour faire réprimer judiciairement les atteintes qui pourraient encore être portées a lÉglise dont nous sommes les administrateurs.
Pourtant, dans le recueil des Documents
officiels et procès-verbaux ayant rapport aux fondations diverses des
Français domiciliés à Moscou, lordre express de
rétablir la séparation des paroisses, signé par
larchevêque Sestrencewicz, est daté du 15 fevrier 1812. Toutes
les personnes nées sur le territoire français ainsi que les
ressortissants de lEmpire français devaient appartenir à la
paroisse française. Avec cela, il était stipulé que le
facteur linguistique nétait pas pris en compte, les Français
nétant pas les seuls francophones. Tous les autres catholiques de
Moscou devaient aller à léglise Saints-Pierre-et-Paul. Cest le
chef de la police de Moscou qui serait chargé de définir la
nationalité des personnes en cas de doute. Une clause
séparée interdisait à larchiprêtre de
léglise Saints-Pierre-et-Paul de singérer dans les affaires
pastorales du prêtre de léglise française.
Ainsi,
le combat dune poignée de Français pour le droit davoir sa
propre église se solda par une victoire, même tardive. On peut
seulement regretter que cette victoire coïncidât avec la Guerre
patriotique de 1812, ce qui, pour des raisons objectives, ne pouvait apporter
à la colonie que des désagréments supplémentaires
plutôt que des avantages.
(Traduit du russe par Christine Colpart)
* Cet article a
bénéficié du soutien du Research Support Scheme de lOSI/HESP, bourse n 782/1998. Je
souhaite remercier ici Wladimir Berelowitch, Vladimir Somov et Kumar Guha pour l'aide qu'ils m'ont
apportée dans la préparation de cet article. Je dédie ce
travail à mes amis du monastère bénédictin de
Chevetogne.