Résumé
de l'article publié dans la Revue des Etudes Slaves, Paris, LXVIII /4,
1996, pp. 445-461.
V. Ržeutsky.
LA
COMMUNAUTE FRANCOPHONE DE MOSCOU
SOUS
LE REGNE DE CATHERINE II.
En 1793, en réponse à lexécution du Roi de France
Louis XVI, Catherine II de Russie signa loukase interdisant toutes les
relations avec la France.[1]
Un des points essentiels de cet oukase prévoyait lexpulsion de
lEmpire de tous les sujets français qui refuseraient de prêter
le serment de nentretenir aucune relation avec létranger. Quel
était le nombre de ceux qui étaient concernés par cette
mesure en Russie et qui étaient-ils?
Les listes des Français qui prêtèrent ce serment,
furent publiées dans le journal Sankt-Peterburgskie
vedomosti.[2]
Les numéros 45-46 de -
contiennent les noms et
les prénoms de presque 800 sujets français adultes domiciliés
à Saint-Pétersbourg et lindication des métiers quils
exerçaient.[3]
Environ 900 sujets français et
leurs enfants résidaient vers cette époque à Moscou, ce
qui ressort des listes publiées dans les numéros 47-51 du même
journal pour lannée 1793.[4]
Dans les listes des Français-Moscovites sont omis, à la différence
des listes pour Saint-Pétersbourg, tous les renseignements concernant les
métiers exercés par la communauté de Moscou. En revanche,
presque toujours est indiquée la ville dorigine des Français-Moscovites.[5]
Dans toutes les autres provinces de lEmpire le nombre de sujets français
ne va pas au-delà de 300-400 personnes. Bien sûr le nombre absolu
de Français en Russie était plus considérable car les cas
de la naturalisation nétaient plus si rares à cette époque.[6]
En comptant aussi les enfants, le nombre absolu de Français résidant
à cette époque en Russie pourrait être estimé
à au moins 2500 personnes. A Moscou (avec sa banlieue), en 1793 la
quantité des Français sapprochait de la barre de 1000
personnes. Comment une telle communauté se forma-t-elle?
1.La
naissance de la communauté francophone de Moscou.
En 1759 le vice-consulat de France souvrit à Moscou. Le premier
vice-consul sappelait Pierre Martin. Il resta attaché à ce
poste au moins au cours de 20 ans, tout en assurant les fonctions de précepteur
dans la famille des princes Cerkaskij.[7]
Il fut un témoin privilégié de la naissance de la colonie
francophone de Moscou.[8]
Il est naturel que, pendant cette période, il connût parfaitement
une grande partie de ses compatriotes moscovites. Cette qualité le
distinguait de ses collègues des hauts rangs de Saint-Pétersbourg.[9]
Cest la raison qui a notamment déterminé un certain degré
de confiance (v. ci-dessous) quon serait prêt à accorder aux
documents rédigés par Pierre Martin, confiance qui est tantôt
limitée, tantôt affermie par la comparaison avec dautres sources
dune fiabilité plus ou moins certaine.[10]
Parmi les documents quon tient de Pierre Martin, il y a deux qui attirent
particulièrement lattention. Il sagit de deux listes de la
communauté française (ou francophone). La première est
intitulée Etat des françois,
sujets du roi, de leur femmes et enfant actuellement à Moscou et aux
environs, au premier janvier mil sept cent soixante deux , et se rapporte
à lannée 1762.[11] La deuxième
était dressée par le vice-consul en 1777 sous le titre Etat de La Colonie françoise
à Moscou et dans cette partie de lEmpire de Russie, pour être
mis sous les yeux de Monseigneur de Sartine Ministre et Secrétaire
dEtat ayant Le département de la marine, par le Sr. martin viceconsul
à Moscou, au commencement de 1777 . [12]
Létablissement de ces listes faisait partie des devoirs de Pierre
Martin en tant que vice-consul. Dans linstruction quil reçut de
Paris via lambassade de Saint-Pétersbourg, au tout début de
lexercice de ses fonctions, il lui fut notifié qu il
sera très bien aussi quil fasse à son loisir un état général
de tous les françois établis tant à Moscou quaux
environs, en notant par autant de colonnes ce quil apprendra du tems de leur
arrivée, de leur âge, de leur état de marié ou non
marié, de leurs enfans, de leurs talens, métiers ou fonctions et
surtout de leurs bonnes ou mauvaises qualités, mais il doit plutôt
recueillir ces connaissances que den faire des recherches avec affectations,
puisquelles doivent être secrettes .[13]
La liste dressée en 1762 reproduit le nom et le prénom des
Français résidant à Moscou cette année, fait mention
de leurs femme et enfants, donne parfois quelques indications, toujours
succinctes, sur lorigine de limmigré et le métier quil
exerce. Ces informations sont complétées par dautres quon
peut tirer des autres documents du même registre dont la liste susmentionnée
fait partie: procurations, légalisations des extraits baptistaires,
mortuaires ou de mariage, actes de résolution, assignations etc. La liste
de 1777 est de beaucoup plus régulière. Elle donne le nom, souvent
le prénom des hommes; indique sils sont mariés, veufs ou célibataires;
combien denfants ils ont; de quelle région ou ville de France ils sont
originaires (pour à peu près 140 familles et individus (ou 283
personnes) sur au total environ 210 familles et individus); enfin quels métiers
ils exercent (pour 89 personnes adultes sur le nombre total dà peu près
270 adultes mentionnés dans la liste).
Dans la liste dressée en 1762 sont mentionnées seulement
156 personnes, hommes, femmes et enfants. Même si lon y ajoute quelques
autres Français qui résidaient à Moscou à cette
époque selon le registre du vice-consulat dont on dispose et qui couvre
les années 1759-1764, leur nombre absolu à Moscou nexcédait
apparemment au début des années 1760 200
personnes, femmes et enfants compris, ce qui nest quune petite poignée
en comparaison avec la colonie des années 1770. La liste de 1777 comporte
environ 650 personnes, hommes, femmes et enfants.[14]
En 1762 les Français ne sont pas encore concentrés dans un
quartier, plusieurs vivent dans les hôtels de la noblesse. Ainsi, un Jean
Mathieu Chauvin, précepteur
des enfants dAlexandre Petrowitch Akinfioff ou une Marguerite
Deschamps demeurant on ne sait en quelle qualité chez le prince Alexis
Sergejevič Galicyn. Cest aussi le cas dune Marie Magdeleine Françoise
de Surville logée chez le prince Nikita Jurič Trubeckoj.
Probablement quelques uns résident dans le Faubourg des étrangers
(Nemeckaja sloboda), mais N.
Martynova-Ponjatovskaja qui a pris le soin détudier à cette fin
les listes des premiers recensements (revizskie
skazki) ny en a enregistré presque aucun.[15]
Les Français catholiques et leurs compatriotes protestants étaient
les uns comme les autres en minorité dans les paroisses à prédominance
polonaise et allemande. De quoi on conclut provisoirement que les Français
de Moscou des années 1750 - début des années 1760 ne
formaient pas encore de communauté vraiment organisée ni à
plus forte raison structurée.
La constitution de la colonie francophone de Moscou coïncide donc
avec lépoque du règne de Catherine II. Mais tout en étant
le fruit des initiatives de la grande souveraine, la communauté de Moscou
se forma plutôt malgré
les projets de limmigration conçus et réalisés sous
Catherine II, que grâce à
eux.
Il est notoire que limmigration organisée par Catherine II
était pensée comme rurale et non urbaine, à la différence
de limmigration du temps de Pierre I.[16]
Autre particularité de la politique migratoire de cette époque,
bien différente aussi sur ce point de la politique de Pierre le Grand,
était une certaine confusion des critères selon lesquels les
immigrés étaient choisis et un laisser-aller général
en ce qui concernait la qualité de limmigration au profit de la
quantité. Le caractère rural de la colonisation dune part et
les caractéristiques professionnelles de beaucoup dimmigrés en
désaccord flagrant avec la direction de la politique migratoire dautre
part, sont à compter parmi les causes de la naissance de la communauté
francophone de Moscou.
Les immigrés étaient invités à sétablir
principalement sur les territoires vides, surtout sur ceux qui étaient
recommandés par le gouvernement. Par contre, la fixation dans les villes,
sans être vraiment interdite, était somme toute mal vue. Pourtant,
beaucoup dimmigrés dorigine française nont pas manqué
cette occasion, bien que ceux qui choisissaient à se fixer dans les
capitales ne fussent exempts des impôts et toutes sortes de charges que
pour la période de cinq ans et non pour trente ans comme les colons
à Saratov. En 1777, comme on vient de le signaler, il y avait non moins
de 650 Français à Moscou. Seulement deux ou trois reçurent
laide du gouvernement pour létablissement des entreprises,
notamment Fazy et Ferrier pour la fondation dune fabrique de montres à
Moscou.[17]
Les autres vinrent probablement à leurs propres frais ou prirent la fuite
durant le trajet de Saint-Pétersbourg à la région de la
Volga.[18]
Mais pour un grand nombre le chemin à Moscou dura plusieurs années.
Parmi les colonies fondées par les immigrés dans la région
de la Volga il y avait une qui sappelait Rosoši. Cétait la
seule où lélément français était dominant.
En outre, à Saratov même sétablirent quantité de
Français et de leurs voisins francophones (Suisses, Belges).[19]
En 1775 une commission spéciale était chargée de trier tous
les colons daprès leur aptitude à soccuper de
lagriculture. En résultat 529 furent reconnus incapables de cultiver
la terre, reçurent les passeports leur permettant de choisir un autre
mode de vie en changeant le lieu de domicile. Une grande partie de ces derniers
se retrouvèrent sous peu dans les capitales.[20]
Pierre Martin écrivait dans le document cité qui se rapporte
à lannée 1777: La
grande colonie françoise était à Saratoff, mais elle a
été presque toute dispersée par les ordres de Limpératrice,
qui a permis aux familles qui La composaient de se répandre dans
LEmpire pour y faire usage de leurs talents et y chercher à vivre. Il
est cependant resté plusieurs de ces familles à Saratoff, ainsi
que dans dautres colonies mélées de toutes les nations .[21]
Or daprès la liste de Pierre Martin de 1777, environ 150 Français,
hommes, femmes et enfants, domiciliés à Moscou en 1777 étaient
peu avant des habitants de Saratov et de sa province.
Le sens profond et la place de cet événement dans
lhistoire de limmigration française en Russie sont clarifiés
par un document intitulé Observations Sur La Levée des Colonies Russes et LEmigration
des Familles Françoises provenant de la partie des Archives
de la Bastille qui est conservée à la Bibliothèque
nationale de Russie.[22]
Il en découle que nombre de Français étaient recrutés
en dehors de la France, dans les communautés francophones de la diaspora,
dans les villes comme Hambourg ou Francfort. Différentes étaient
les voies qui les y avaient amenés: les uns avaient émigré
lors des campagnes de la colonisation en Prusse; dautres avaient déserté
de larmée française; dautres encore, les huguenots, avaient
fui les persécutions religieuses.... Le vice-consul de France à
Moscou Pierre Martin signale la présence dau moins 18 déserteurs
(sur 48 hommes adultes) parmi les Français venus de Saratov à
Moscou.[23]
Labsolue majorité des Français engagés en Allemagne
étaient des habitants urbains. Ils létaient souvent encore
avant de sexpatrier et de sétablir dans les villes allemandes. Il
ny avait parmi ceux-là que très peu de gens qui étaient
liés à lagriculture, si ce nétaient pas les quelques
anciens vignerons établis à cette époque à
Francfort. Les immigrés français levés dans
ces villes maîtrisaient en général des professions urbaines.[24] A larrivée dans
la région de la Volga, beaucoup étaient mis devant un choix des
plus douloureux, surtout si on prend en compte linsistance de la Chancellerie
de tutelle des colons étrangers (Kanceljarija
opekunstva inostrannyx[25])
qui forçait les colons de changer leur métier pour celui de
laboureur. La fuite dans les capitales était donc une conséquence
logique du fait que beaucoup de colons français se montrèrent réfractaires,
voire incapables à sadapter aux conditions quils navaient pas
choisies. La fuite devint une véritable débandade quand les colons
comprirent que lenseignement de leur langue était un excellent
gagne-pain en Russie.[26]
Leffritement de lélément français dans la région
de la Volga était de surcroît accéléré par des
calamités qui poursuivaient les colonies depuis le début de la
colonisation: les mauvaises récoltes suivaient une année après
lautre, beaucoup de colonies étaient déficitaires au cours de
dix premières années de leur existence, voire plus; en 1774
Saratov était beaucoup endommagée par un terrible incendie, et sa
dévastation était achevée par les troupes de Pugacev trois
mois plus tard.[27]
Et ce nest pas un hasard si Pierre Martin parle en toute connaissance de
cause des événements qui eurent lieu à une distance
énorme de Moscou: Il ne
reste plus guère que quatre ou cinq mille de ces familles, Le reste
étant péri de misère et de maladies, ou massacrés
par Pougatchoff, ou emmenés en esclavage par les tartares .[28]
Aussi, un des facteurs importants pour la constitution de la communauté
francophone de Moscou doit-il être cherché dans la contradiction
entre le caractère principalement urbain des immigrants français
des années 1760 et la tendance générale de la politique
migratoire du gouvernement russe à cette époque. Autre raison
consistait en un intérêt toujours croissant parmi la noblesse russe
pour tout ce qui était lié à la France, à commencer
par la langue française.[29]
Il est curieux que la plus nombreuse famille parmi celles arrivées de la
région de Saratov à Moscou, à savoir les Dellesalle,
gagnaient leur vie en enseignant le français dans les pensions quils
avaient fondées et ce métier était hérité par
nombre des descendants des premiers Dellesalle venus en Russie.[30]
Plus tard, un des mécanismes essentiels de lagrandissement et du
renouvellement de la communauté était une migration des Français
appelés par leurs conjoints, parents, anciens voisins à venir
à Moscou, phénomène qui a reçu le nom de chain
immigration dans la littérature anglo-américaine.
Cest le mécanisme qui était à la cause du flux
extraordinaire des immigrants de quelques petites villes de France en Russie.[31]
En 1777 environ la moitié de tous les Français de Moscou
étaient originaires de quatre villes ou régions de France, de la
Lorraine (qui est à la tête de ce groupe avec 13% de tous les Français
de la colonie), de Paris, du Dauphiné, de Lyon (qui clôt le groupe
des leaders avec 10%).[32]
Il a déjà été dit que nombre dimmigrés
arrivèrent en Russie via les villes allemandes. Seize ans après,
en 1793, parmi les sujets français à Moscou, 20%, cest-à-dire
le groupe le plus nombreux de tous, étaient ceux qui étaient nés
en Russie des parents français. Leur emboîtaient le pas des anciens
Parisiens (16%), des originaires de lAlsace et de la Lorraine (presque 15%),
tandis que les Lyonnais sont bien moins nombreux quen 1777 (moins de 3%).[33]
Ainsi, dans la deuxième partie du règne de Catherine II survinrent
quelques changements notables dans la constitution de la communauté de
Moscou. Dabord, cest lapparition de la deuxième et de la troisième
générations des immigrés français à Moscou,
ce qui témoigne dun important taux de sédentarisation de
limmigration française dans cette ville. Deuxièmement, cest
une diminution notable du flux des immigrés de Lyon qui sexplique
probablement par un piètre succès de la production de soie
à Moscou. Troisième changement est laugmentation du nombre
dimmigrés de lAlsace. Les mêmes tendances se profilent
à Saint-Pétersbourg du début du XIX siècle.[34]
Les Français de Moscou de la deuxième moitié du XIX
siècle, penchés sur lhistoire de leur communauté, se
posaient aussi la question sur les sources de celle-ci. Leurs opinions à
ce sujet sont dautant plus intéressantes quelles pourraient être
considérées dans une certaine mesure en tant que jugement de la
colonie à propos de sa propre histoire. Pour Félix Tastevin et
Augustin Ladrague, lun comme lautre littéraires, Moscovites français
de la fin du XIX siècle, la communauté se constituait dans un
premier temps des émigrés de lAlsace et de la Lorraine. Dans un
deuxième temps, des Franc-comtois vinrent sinstaller à Saint-Pétersbourg
et à Moscou après le mariage du Grand-Duc Paul avec une princesse
de Würtemberg élevée à Monbéliard. Et la troisième
vague se situe alors à lépoque de la Révolution et de la
Terreur, elle est constituée essentiellement des prêtres et des
nobles dont la provenance nest pas précisée par ces auteurs. A
ce flux sajoutent quelques petits confluents: les émigrés de la
province de Liège et de la Suisse francophone.[35]
Cette unanimité entre les deux hommes devrait être interprétée,
paraît-il, comme lexpression des représentations collectives que
partageaient les membres de la colonie de cette époque. Ces représentations,
sans fausser tout à fait la réalité des choses (telle
quelle se présente daprès les documents consulaires), ne
sont pour autant libres de quelques inexactitudes qui sont dues probablement
à leffet du temps et de loubli. Cet oubli semble dautant plus
naturel que la colonie se rajeunit considérablement après la dure
épreuve subie en 1812 et les nouveaux éléments ne surent
pas garder le souvenir exact des débuts de la communauté. En
effet, on est frappé par loubli absolu du mouvement migratoire de Lyon
et du Dauphiné dont les originaires constituaient pourtant plus de 20%
des effectifs de la communauté aux années 1770 (mais dont le
nombre diminua rapidement ce qui est peut-être le pourquoi de cet oubli).
Le nombre de Parisiens ne semble pas non plus si négligeable, mais est
également ignoré par les auteurs cités. A court des
sources, quils ignoraient ou qui leur étaient inaccessibles à
lépoque, Tastevin et Ladrague pouvaient prendre pour largent
comptant les souvenirs gardés par la mémoire collective de la
communauté, imparfaite comme la mémoire de lhomme en général.
Il est intéressant à ce propos que limmigration dont le
souvenir persiste surtout dans la communauté, celle des Alsaciens comme
des Lorrains, paraît une des plus stables et, pour ce qui est surtout des
Alsaciens, une des plus récentes.
2.Métiers de la colonie. Lieux de résidence.
Relations avec la noblesse de
Moscou.
Organisation structurelle de la
communauté.
Les précepteurs ne figurent pas dans la liste de 1777. Cest
quils ne formaient pas de corps de métier. Pourtant, cette profession
libérale de lépoque était indéniablement
des plus répandues parmi les Français de Moscou.[36]
En labsence des précepteurs, le groupe le plus nombreux est constitué
par les commerçants. Numériquement, bien moins nombreux sont médecins,
cuisiniers, perruquiers (le nombre de ces derniers est pourtant, pour un métier
comme celui-ci, important, et constitue, dans Moscou de la fin du XVIII siècle,
une profession spécifiquement française). Plusieurs métiers
ne sont représentés que par un ou deux immigrés, tels sont
les métiers de chapelier, ferblanquier, horloger, maître darmes
etc.[37]
A titre de comparaison on peut indiquer les chiffres pour Saint-Pétersbourg.[38]
Sur environ 800 personnes adultes sujets français se trouvant à
Saint-Pétersbourg en 1793, 85 sont nommés exbntkb
et 12 gouvernantes (environ 12% de tous les adultes), 81 sont marchands (10%),
71 sont militaires (9,3%), 55 sont dits serviteurs ( slugi -
6,8%), mais il faudrait y ajouter des valets de chambre ( rfvthlbyths ,
2,75%, ce qui donne en tout presque 10%), 33 sont cuisiniers (environ 4%). Parmi
les professions moins fréquentes à Saint-Pétersbourg
citons: perruquiers (un peu plus de 3%), artistes (2,5%) etc.
Si le préceptorat était un métier universel des Français
Moscovites, comme de tous les Français
russes [39]
en général, le commerce était sans doute le métier
le plus ancien. Bien que le 3-me recensement (1762) nenregistrât pas de
marchands français dans les guildes marchandes à Moscou, il
nest pas moins vrai que les Français commerçaient déjà
à Moscou bien avant le début de limmigration initiée
sous Catherine II. On connaît au moins quils y étaient plusieurs
lannée de louverture du vice-consulat de France à Moscou
(1759). Ils font des affaires avec Saint-Pétersbourg et avec la France.
Un nommé Joseph Gapand vient à Moscou en 1760 avec une provision
de tabatières que lui avait confiée un marchand parisien. Mais
ayant payé de fortes sommes à la douane, il perd beaucoup
dargent sur cette opération.[40]
Les Français créent les premières associations, par
exemple, pour la conservation de leurs marchandises dans les entrepôts
communs. Un tel entrepôt appartenant entre autres aux frères-commerçants
Le Maignan et à François Lacroix a brûlé en 1764, ce
qui a occasionné une perte de leurs marchandises pour 3109 roubles.[41]
François La Croix est dailleurs un marchand de Saint-Pétersbourg,
mais il passe des mois entiers à Moscou pour ses affaires de commerces.
Quinze ans plus tard (1777), la deuxième liste connue de Pierre Martin
comporte les noms denviron 30[42] marchands français
qui sont domiciliés à Moscou. Le 4-me recensement (1782) fournit
les noms de quatre autres marchands français inscrits dans les guildes
qui étaient manifestement à Moscou déjà en 1777 mais
sont absents de la liste de Pierre Martin. Sur vingt-cinq marchands dont
lorigine est connue quatre sont danciens Parisiens, trois viennent de la
Lorraine, un du Dauphiné, une famille de plusieurs personnes est
originaire de la Provence, une autre vient de la Bretagne, une personne de la
Normandie, de Nîmes, de Grenoble, dOrange et de Lyon. La spécialisation
de quelques uns est indiquée: M.Martin est marchand-bijoutier, M.Servier
et M.Chevis vendent des perruques, d-lle Hannevard est marchande de modes. Si en
1782 le nombre des marchands des guildes dorigine française se limite
à 7 personnes, ils sont 42 douze ans plus tard, lors du recensement de
1794-1795.[43]
On rencontre très souvent les noms à consonance française
parmi ceux des marchands de Moscou condamnés à la fin du XVIII siècle
à de fortes amendes pour la contrebande des marchandises interdites ou
importées sans payement de taxes.[44]
La question qui reste jusque là à lombre concerne les
relations entre la population de Moscou (la noblesse mise à part) et les
communautés étrangères de cette ville. Il paraît que
avant le début du XIX siècle ces relations dans le milieu marchand
nétaient pas trop tendues. Pourtant le nombre des libraires français
toujours croissant à Moscou ne pouvait, semble-t-il, que susciter le mécontentement
de leurs confrères russes. Sil nen était point ainsi pendant
longtemps, ne serait-ce imputable aux différences entre eux: les lieux
dactivité privilégiés par les premiers (le Pont des maréchaux,
Tverskoj, Rozdestvenka etc.) étaient à lécart du Pont du
Saint-Sauveur où vendaient les livres les libraires russes de Moscou, ce
qui était déterminé par la différence de la clientèle
quils servaient; les Français se spécialisaient dans le premier
temps en livres étrangers et nempiétaient pas tellement sur
lespace de vie des libraires russes. Certains domaines du commerce français
étaient sans doute à labri de la jalousie des marchands russes
comme étant très spécifiques (le commerce des perruques, de
certains articles de mode etc.). En outre, beaucoup de marchands russes de
Moscou étaient eux-mêmes des intrus , venus
dautres villes de lEmpire.
Si à la fin du XVIII siècle non moins de 30% des immigrés
français à Saint-Pétersbourg dépendaient directement
de laristocratie, essentiellement russe, quils servaient,[45]
la proportion des Français au service de la noblesse était
probablement encore plus importante à Moscou.[46]
On pourrait dire pour cette raison que les besoins de laristocratie déterminaient
dans une grande mesure la constitution de la colonie du point de vue
professionnelle et notamment le nombre de ceux qui exerçaient tel ou tel
métier, quoiquon ne doive pas oublier, quà leur tour, les
Français exerçaient indéniablement une influence dans le
processus de la maturation de ces besoins. La demande des précepteurs
saturée dans la nouvelle capitale, le trop-plein de ceux-ci se déversait
sur Moscou. A la fin du XVIII - début du XIX siècle apparaissent
dans le journal officiel de Moscou Moskovskie
vedomosti les annonces des Français proposant leurs services en tant
que précepteurs à la noblesse provinciale. Est-il devenu si
difficile de trouver une place à Moscou vers cette époque?
Avec quelle couche de la population de Moscou les Français-Moscovites
entretenaient-ils de préférence les relations? Par qui étaient-ils
le plus souvent engagés? Qui achetait les livres dans les librairies fondées
par les Français? Il est vrai quen répondant que la noblesse de
Moscou était un interlocuteur social privilégié de la
communauté francophone à Moscou, on ne risque pas de se tromper
outre mesure, mais on reste pourtant sur sa faim. On ne peut pas encore donner
une réponse détaillée à chacune des questions posées,
mais les documents accessibles permettent néanmoins de fournir des
éléments de la réponse.
Un Français Emmanuel Bousson de Mairet se trouve au service du
comte Nikita Petrovic Panin, futur vice-chancelier. Cest un des rares Français
récalcitrants qui refusa de prêter le serment en 1793 et fut obligé
de quitter lEmpire de Russie. Dans les années 1770, en qualité
de gouverneur dans la famille du général-en-chef de larmée
russe comte Valentin Platonovič Musin-Puškin travaillait lancien
officier français Nicolas Henri Feriel du Foy. Dans les années
1780 un certain Jacques Chevenet est chef de cuisine du brigadier comte Stepan
Stepanovič Apraksin. Son homologue Jean Baptiste Maiz servait le feld-maréchal
comte Ivan Petrovič Saltykov, gouverneur de Moscou depuis 1797.[47]
Dans les listes des parrains des enfants des immigrés français
baptisés à léglise catholique des Saints Apôtres
Pierre et Paul à Moscou en 1783 surgissent les noms de Fedor Pavlovič
Balk-Polev, chambellan actuel; de la comtesse Ekaterina Ivanovna Šuvalov,
veuve du feld-maréchal; du conseiller privé actuel grand
chambellan et sénateur prince Alexandre Mihajlovič Golicyn. La même
année dautres aristocrates russes de Moscou parrainèrent les
enfants dans la même église: le comte Petr Alexandrovič
Buturlin, conseiller privé, fils du feld-maréchal, la comtesse
Ekaterina Ivanovna Golovkin, épouse du comte Mixail Gavrilovič
Golovkin, vice-chancellier et sénateur exilé sous Elisabeth. Cette
énumération des grands noms titrés de lEmpire pourrait
être prolongée presque à linfini: les noms des princes
Trubeckoj, Xavanskij, Odojevskij, Gagarin, Dolgorukij, Volkonskij, des comtes
Šeremetev, Apraksin etc. se mêlent aux noms des étrangers
obscurs.[48]
Cette longue liste témoigne avec éloquence des relations assez
étroites qui sétaient établies vers cette époque
entre la haute noblesse de Moscou et les étrangers. Elle montre aussi,
bien quindirectement, que la communauté francophone de Moscou est entrée
dans la phase de lépanouissement et de la maturité dans la
deuxième partie du règne de Catherine II.
Qui plus est, on pourrait dire que le rapprochement avec la noblesse de
Moscou se produisit aussi dans le sens direct du terme. Bien sûr, selon
les usages du temps les précepteurs, les cuisiniers, les maîtres
dhôtel etc. vivaient dhabitude dans les maisons de la noblesse qui
les engageait. De ce fait, ils entraient en contact avec laristocratie
journellement et souvent, si on pense aux précepteurs et secrétaires,
dune façon presque intime. Dautre part, ces Français
étaient, du point de vue du lieu de leur résidence, exclus, dans
une certaine mesure, de la vie de la communauté. Cest probablement une
des explications du fait que les Français, étant déjà
présents et fort nombreux à Moscou du début des années
1760, étaient quasiment introuvables dans le Faubourg des étrangers.
Les listes des recensements (htdbpcrbt crfprb) concernant les marchands des
guildes de Moscou[49]
indiquent le trajet quavait effectué la colonie
francophone à Moscou depuis les années 1760 à la fin du
XVIII siècle. Lors du 4-me recensement (1782), 7 marchands français
inscrits dans les guildes marchandes habitent différents quartiers de
Moscou, y compris 2 qui résident dans le Faubourg des étrangers,
mais on nen trouve aucun à cette époque dans le quartier de
Lubjanka et du Pont des maréchaux (Ke,zyrf
b Repytwrbq vjcn). Douze ans plus tard, lors du 5-me recensement
(1794-1795), sur 22 marchands français inscrits dans les guildes
dont les adresses sont indiquées dans les listes de recensement, 16
habitent dans le quartier de Lubjanka et 10 de ce nombre directement près du Pont des maréchaux ou sur le Pont des maréchaux . Ce fait demande dêtre
explicité. On est enclin den voir les mobiles essentiellement dans le
changement des circonstances qui a, en lespace de deux-trois lustres peut-être,
valorisé ce quartier, surtout au regard des communautés étrangères,
qui étaient, répétons-le, en grande partie au service de
laristocratie et sorientaient sur ses goûts. Un des comtes Voroncov
a construit, dès la moitié du siècle, plusieurs maisons
prestigieuses, dans la Roždestvenka et le long de la rivière
Neglinka. Beaucoup dautres aristocrates lont suivi de près,
transformant ainsi cette espace en un quartier cossu. Bientôt, déjà
au temps de Catherine II, il fut permis de commercer partout dans la ville, et
non seulement dans lenceinte des Galeries marchandes comme jusque là.
Les Français habitaient en grande solidarité, les uns près
des autres. Ainsi, dans la maison du général Beketov, près
du Pont des maréchaux, étaient logés les marchands français
Magdeleine Renière, Jacques Gay, célèbre libraire, Robert
Philippeau avec son épouse Louise Villaume. Dans la maison du libraire
François Courtener, Français de nation, logeaient aussi quelques
Français, notamment Jean Gautier, futur beau-fils de Courtener, et François
Riss, aussi libraire.[50]
Les Français firent de grands progrès dans la vente des
livres à Moscou, montrant ainsi aux libraires russes les horizons dans
lart de librairie. De Marey, les frères Gay, Courtener, Bugnet,
Gautier, Riss et Saucet introduisirent les catalogues, les salles de lecture, le
prêt des livres tant aux Moscovites quaux provinciaux, la publicité
des nouveautés de librairie dans les journaux de Moscou etc. Un développement
extraordinaire des librairies françaises tenues par des Français
était dû naturellement au contexte culturel et social de lépoque.
Mais de surcroît, peut-être à un fait curieux: on a pu
constater que plusieurs libraires français de Moscou étaient
originaires de la même ville, Strasbourg, ils se connaissaient sans doute
avant le départ en Russie, peut-être leur départ même
était-il coordonné.[51]
Il est remarquable que les frères Gay par exemple, commencèrent
à vendre les livres dabord à Moscou, puis élargirent
leur commerce en ouvrant en 1787 leur magasin (qui existera jusquà
1800) à Saint-Pétersbourg en pleine perspective Nevski.[52]
Dautres Français, tel François Courtener, ayant des parents
proches libraires à létranger, exploitaient habilement la
possibilité davoir des contacts avec eux, commander à travers
eux des nouveautés etc. Ainsi, Courtener fait paraître une Note
de livres nouveaux et autres, en vente chez Pierre Courtener, libraire à
Basle, et chez François Courtener, libraire à Moscou .[53]
Les catalogues édités par la maison Courtener permettent de suivre
lévolution de son commerce. Ayant ouvert dabord aux années
1780 une librairie rue Illienski
à Moscou aux Boutiques Neuves de Mr. Calinin, n 3 , cest-à-dire
dans la rue Iljinskij, Courtener ouvre bientôt un autre magasin de livres,
cette fois rue Nikolsky, vis-à-vis
de Zaïkonospasky monastère , maison
de Schewaltischeff . On peut imaginer le nombre des livres en vente
dans sa librairie si son Catalogue
methodique comptait 150 pages.[54]
On est amené, sur la base des documents quelque peu modestes dont
nous disposons, à faire une supposition que les marchands français
tendaient à conclure à cette époque les mariages le plus
souvent dans leur propre milieu, celui des marchands français. Jean-Marie
Gautier Dufayer qui vint en Russie à la fin des années 1750 avec
quelques compagnons, changea en quelques années plusieurs professions, y
compris celle - incontournable -, de précepteur, avant de passer de
Saint-Pétersbourg à Moscou et de sinscrire comme marchand des
guildes avec le capital dun millier de roubles quil arriva à réunir
sur les économies de son salaire de gouverneur, de directeur dune
manufacture privée etc. Bientôt, marchand de la 1-re guilde
à Moscou, il épousa Jeanne Gaudain, fille du directeur du Club
Anglais à Moscou, lui aussi Français. Jean Gautier, alias Ivan
Ivanovič Gautier, issu de cette union, sapparenta au libraire François
Courtener par le mariage avec sa fille et il hérita la maison Courtener
qui existerait encore au cours dun siècle.
Ne sont plus si rares dans les années 1780 les unions intercommunautaires
ou interethniques .[55]
Ainsi, d-lle Rose Hannevard, soeur des frères Hannevard qui formaient
à Moscou de cette époque une importante maison de commerce, se
marie avec le fils du propriétaire dune fabrique de tapisseries,
Anglais Martin Butler. Cette union est probablement dautant plus avantageuse
pour les Hannevard quelle coïncide avec la période de grandes
difficultés financières quéprouve la maison Hannevard,
Becker et Cie . En 1775, les marchands sont obligés de présenter
au consulat de France à Saint-Pétersbourg le bilan de leur
commerce pour que la chancellerie pût procéder à la
liquidation de la société.[56]
Il semble pourtant que jusquà la fin du XVIII siècle les
mariages des Français avec des Russes nétaient somme toute pas
fréquents. Pourtant, il est difficile den être assuré car
si dans la liste de 1793 publiée dans le journal Moskovskie
vedomosti les noms de jeune fille des femmes des Français sont
presque toujours mentionnés, il ny a pas parmi elles une seule qui
soit Russe.[57]
Cest dailleurs naturel puisquil sagit dune liste des sujets français.
Les noms à consonance russe sont tout autant absents des registres des
mariages de léglise Saint-Louis des Français: de 1790 quand le
registre fut ouvert à lannée 1793 incluse, il ny en a pas un
seul.[58]
Sil en est ainsi, cela ne signifie bien sûr pas que des mariages
mixtes entre les Russes et les Français étaient
inexistants, mais plutôt quil faut en chercher les traces ailleurs. A
titre dexemple, citons une des plus nombreuses familles françaises de
Moscou, les Dellesalle. Sur le nombre présumé de treize enfants
quavait le fondateur de cette famille Philippe Dellesalle, nés aux années
1760-1770, quatre épousèrent leurs compatriotes établis
à Moscou; trois autres se marièrent aux représentants
dautres communautés étrangères de Moscou, sans doute les
Allemands à juger daprès leurs noms; trois encore épousèrent
les Russes, dont Petr Jakovlevič Aničkov, assesseur de collège
et propriétaire à Moscou; les noms des conjoints des trois qui
restent sont inconnus pour le moment. Et il sagit de la famille qui,
semble-t-il, visait plutôt la plus rapide assimilation, donc naurait
pas dû se cloisonner dans les limites du Pont des maréchaux. Une
branche des Dellesalle rompit même les attaches qui la liait à la
communauté de leurs compatriotes, se déplaça à
Saint-Pétersbourg où lattendait le chemin de lascension
sociale presque vertigineuse. La grande réussite sociale, dans une carrière
militaire ou civile, qui donnerait laccès à la noblesse,
supposait pour une famille française à Moscou, de relacher les
liens avec la communauté et, partant, daccepter la plus rapide
assimilation linguistique et culturelle.[59]
Les contraintes des circonstances jouaient aussi leur rôle dans les stratégies
maritales. Pour une Française de Moscou, épouser un Français
était une tâche ardue. Le choix des conjoints français nétant
pas illimité dans la colonie française de Moscou, tant sen
faut, les Français auraient pu être stimulés à
sacrifier certaines règles de bienséance généralement
reconnues à lépoque. Ainsi, la fille de Sophie Philippovna
Dellesalle et de Pierre Dunoyer épousa Alexandr Gavrilovič
Dellesalle qui était son cousin germain.[60]
Une des fonctions de léglise Saint Louis des Français
à Moscou était justement de mettre une barrière ou du moins
de ralentir le processus de brassage de la population française de Moscou
avec les autochtones et dautres étrangers. Linitiative de fonder
une église française vint de plusieurs familles
respectables de la colonie, du vice-consul et, naturellement, des ecclésiastiques
français qui étaient des hôtes de plus en plus fréquents
à Moscou et sy établissaient même.[61]
En août 1789 tous les Français de la communauté reçurent
une invitation à venir participer à une réunion générale
de la colonie. Le texte de cet imprimé annonçait: Monsieur!
(suit le nom de celui à qui la feuille était adressée) Comme membre de la Communauté françoise, vous êtes
prié de vous trouver dimanche prochain 5 août à 9 heures du
matin à lAssemblée qui se tiendra chez M. de Bosse, Sindic,[62]
à lOustretinka,[63]
pour régler la communauté Catholique françoise, séparée
des autres par la permission de Mgr. lArchéveque de Mohilew;
daviser aux moyens détablir ses revenues, ses casuels etc. et de
pourvoir à ses frais; réunion qui doit flâter les françois
jaloux de conserver lintimité nationale et les ressources quelle
offrira dans toutes les positions malheureuses; réunissant aussi l agrément
davoir son prêtre, ses registres; de suivre ses usages pour le service
divin et déviter à lavenir les contestations qui naissent
naturellement de la différence du génie de 4 nations melées
ensemble .[64]
Lassemblée de la communauté résolut de former une communauté particulière et délever
une église ou le culte catholique put se célébrer selon les
rites de sa nation, en vertu des traités entre la France et la Russie .[65]
La communauté nomma plusieurs syndics et leurs adjoints. Et cest le 30
mars 1791 que léglise fut bénie et dédiée
à Saint Louis, Roi de France, en
présence de la communauté généralement rassemblée
et avec un concours égal de la noblesse russe .[66]
En 1792, peut-être par les soins des prêtres français,
larchevêque prescrivit la délimitation complète de la
paroisse française et enjoignit aux desservants de léglise de
ne confesser et communier que leurs ouailles. On en vint à interdire
à un Italien, Gambotti, doccuper plus longtemps le poste de syndic de
la communauté, bien que lintéressé fût de plein gré
accepté dans la colonie, étant probablement parfaitement
francophone.[67]
En tirant quelques conclusions préalables, soulignons une fois de
plus que ce fut sous le règne de Catherine II que la communauté
française (ou, plus justement, francophone), dune petite poignée,
se transforma en une colonie des dimensions considérables et cela, en
grande partie grâce au mouvement de la population initiée par la
politique migratoire de Catherine II, bien quà lencontre des buts
que visait le gouvernement. Si pourtant dans la ville comme Moscou, numériquement,
le poids de cette communauté était des plus
modestes, elle ne jouait pas moins un rôle important dans le
fonctionnement de la ville et devint un phénomène de la conscience
publique.[68]
Ceci était dû dabord au fait que la communauté
francophone de Moscou réussit à établir des relations avec
de très larges couches de lancienne capitale et surtout
laristocratie moscovite; et puis grâce à lorganisation de la
communauté autour du vice-consulat et léglise catholique française
de Moscou. Cest cette dernière particularité qui permettra
à la communauté de se conserver encore très longtemps en
tant que groupe ethnique .
Je saisis cette occasion pour exprimer ma gratitude à M.Wladimir Berelowitch et Mme Jutta Scherrer pour laide et le soutien quils mont accordé au cours de mes études à lEcole des Hautes Etudes en Sciences Sociales à Paris en 1995-1996.
Toutes les citations sont reproduites avec lorthographe de loriginal.
[1]Loukase
du
8 février
1793,
,
XVI,
,
,
,
//
, SPb., 1830, vol. 23, n 17101.
[2]-
, 1793,
n
45-53.
[3]Sankt-Peterburgskie vedomosti signalent (1793, n 46, p. 1045) que le nombre de sujets français qui prêtèrent le serment à Saint-Pétersbourg était égal à 786 (bien que les listes en contiennent au plus 765). En y ajoutant les 12 personnes qui prêtèrent le serment plus tardivement (ibid.), on aura le chiffre de 798 où cependant sont exceptés les enfants.
[4]Ces listes reproduites dans ces numéros (Sankt-Peterburgskie vedomosti, 1793, n 47-51) contiennent, daprès mes calculs, 906 personnes, y compris les enfants. Les listes sont précédées par les mots suivants: , 1793 8 , , , . Or à juger daprès les listes elles-mêmes, il ne sagit que des habitants de Moscou. Il est possible quétaient aussi inclus dans ces listes les Français des environs de Moscou.
[5] Il est à remarquer que les listes incluent aussi les émigrés francophones des villes comme Bruxelles, Genève ou Luxembourg, bien que le nombre de ceux-ci fût minime. Les originaires francophones de la Belgique, de la Suisse etc. faisaient toujours partie de la communauté française de Moscou, abstraction faite du statut de ses pays. On trouve même dans les listes de la communauté dressées par le vice-consulat de France à Moscou un Espagnol; la raison en est certainement dans la langue (et la culture) française qui étaient un dénominateur commun pour tous ces émigrés. Cest la raison qui nous fait parler de la communauté francophone .
[6]On en connaît plusieurs, mais il semble extrêmement important de savoir les chiffres exacts qui sont des indicateurs des processus (lassimilation, linfluence des facteurs dordre politique, économique etc., limage de la Russie et ainsi de suite) dans le milieu des étrangers en Russie.
[7]Archives diplomatiques de Paris, Correspondance politique, Russie, vol.100 (année 1777), p.113verso.
[8]Avant limmigration entreprise sous le règne de Catherine II, le peu de Français de Moscou étaient pour la plupart dextraction huguenotte. Jurgen Krämmerer conclut dans son livre Russland und die Hugenotten im 18. Jahrhundert (1689-1789), Wiesbaden, 1978, p.34: Zur Bildung einer franzosisch-reformierten Gemeinde ist es jedoch in Moskau nicht gekommen. Zu gering war die Anzahl hugenottischer Familien in der alten Hauptstadt . Il semble que les quelques artisans français arrivés à Moscou aux années 1720 via Saint-Pétersbourg ne sy éternisèrent pas non plus. V. sur ce sujet les lettres inédites du vice-consul de France à Saint-Pétersbourg (sous le règne de Pierre I) Henry Lavie, Archives Nationales, Affaires étrangères, B-I-983, f.1-2 etc.
[9]L'attitude des hauts fonctionnaire de la diplomatie française en Russie envers leurs compatriotes expatriés et la bonne ou mauvaise connaissance avec leur vie qui est fonction de cette attitude fait l'objet d'une étude à part et nous n'en ferons pas de résumé ici.
[10]P.ex.
N.
A.
Najdenov,
, M., 1883-1889, t. 1-9.
[11]Jexprime ma reconnaissance à M. Vladimir Somov qui ma indiqué ce document. ADN, Moscou, vice-consulat, n 1, p. 99-101.
[12]Archives Nationales de France (AN), Affaires étrangères, B-I-480, f. 213-223.
[13] Instruction Pour Le Sr. Pierre Martin Etabli Vice-consul de france à Moscou et dépendances, par patentes du Sr. De Cury de St. Sauveur Consul général de france En Russie en date Du premier avril 1760 , ADN, Moscou, vice-consulat, n 1, p. 23-30.
[14]Il est impossible dévaluer, daprès cette liste, quel était le nombre exact de Français à Moscou à cette époque. Dabord parce que, dressée par une personne qui avait pour lexecution de cette tâche des moyens quand même très limités, cette source nest bien sûr pas exhaustive ni libre de quelques erreurs. Et puis, parce que le nombre denfants dans plusieurs familles nest pas précisé.
[15]N.
G.
Martynova-Ponjatovakaja,
//
, ., 1928, vol.
1, p.
113 sqq.
[16]Cf. les opinions sur ce sujet: R.Bartlett, Human Capital. The Settlement of Foreigners in Russia, 1762-1804, Cambridge University Press, Cambridge, London, New York, New Rochelle, Melbourne, Sydney, 1979, p.53 sqq. et A. A. Kizevetter, . . XVIII // 52- . , - , vol. XI, n 3, SPb., 1912, p. 151-200 et en particulier p. 159.
[17]R.
Bartlett, op.cit., p. 168-169, 308.
[18]Cf.
G.
G.
Pisarevskij,
XVIII
XIX ., Rostov-sur-le-Don,
1916, p.
23.
[19]V.
F.
Šišmarev,
// , vol.
26, L.,
1975, p.
111 sqq.
[20]Pisarevskij,
op.cit., p. 36; Bartlett, op.cit.,
p. 106.
[21]AN, Affaires étrangères, B-I-480, p. 218.
[22]Département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de Russie (BNR, Saint-Pétersbourg), Archives de la Bastille, autographe 121, n 107. Très abîmé, le document ne fut que mentionné par Paul dEstrée, Une colonie franco-russe au XVIII siècle, Revue des Revues, 1896, 19. Il fut reproduit en entier pour la première fois (si on exclut la publication dans le catalogue tapuscrit interne de la Bibliothèque : , L., 1960, par A. Ljublinskaja) par Roger Bartlett, op.cit.., p. 250-255.
[23]AN, Affaires étrangères, B-I-480, p.213-223.
[24]Ainsi, on y rencontre des fabricants, officiers et bas-officiers levés en Hollande, des Déserteurs, fabricants de bas, forgerons reformées pour la plus part engagés à Wurms, 20 familles françaises prés composées de Cloutiers, Tisserans, Bucherons tirées des Ardennes embauchées à Furth etc., R.Bartlett, op.cit., pp.250-253. Cf. à ce propos lopinion de Šišmarev, op.cit., p. 113.
[25]Organisme qui avait existé de 1763 à 1782 et était chargé de la direction du recrutement et de létablissement des colons. Le fonds de la Chancellerie aux Archives dEtat des actes anciens (RGADA) à Moscou (F. 283, 210 dossiers) contient les documents concernant le recrutement des colons dans les pays dEurope, leur établissement dans les différents gouvernements de lEmpire, y compris dans la province de Moscou, les listes de colons (1768-1769), etc.
[26]Cf. Pisarevskij, op.cit., p. 6-10.
[27]Cf.
ibid.;
-
, vol.
35, t.
2, recueil
historique,
Saratov,
1928; V.
V.
Mavrodin,
//
:
. . =
,
, , vol. 9, p. 400-412.
[28]AN, Affaires étrangères, B-I-480, p. 218.
[29]Même dans la région de la Volga, pourtant extrêmement pauvre en ressources humaines, les colons français connurent un succès considérable en devenant précepteurs. Cf. Pisarevskij, op.cit., p. 7.
[30]V.
p.ex.
M.
Delsal,
.
, 1869, n
1, p.
35-38.
[31]P.ex. des originaires de Lunéville. En 1793 on compte au moins 24 anciens Lunévillois à Moscou, Sankt-Peterburgskie vedomosti, 1793, n 47-51. En 1819 un notaire originaire de Lunéville nommé Nicolas Touvenel conclut à Saint-Pétersbourg le mariage avec Ursule Socerot, fille du dentiste à la cour de Russie Joseph Socerot, lui aussi originaire de Lunéville, bien que sa fille fût née déjà à Saint-Pétersbourg. Archives diplomatiques de Nantes, Saint-Pétersbourg, consulat, état-civil, n 1, Registre des naissances, mariages et décès. An X à 1821, p. 42. On peut penser que ce nétait pas un cas unique.
[32]Daprès la liste de 1777, AN, Affaires étrangères, B-I-480, p. 213-223. V. Šišmarev, sur la base de plusieurs sources approximatives a conclu que la quantité de véritables Français ne dépassait dans la région de la Volga 70 personnes. Sur ce nombre, la plus grande partie étaient originaires du Nord-Est et de lEst: Ile-de France, Orléan, Berry, Picardie, Artois, Champagne, Lorraine, Bourgogne, Alsace, Franche-Comté. Beaucoup moins sont représentés lOuest et le Sud-Ouest. La divergence davec le document susmentionné des Archives de la Bastille nest quapparente, pense V. Šišmarev. Beaucoup de Français de lAlsace et de la Lorraine étaient, selon lui, Allemands par leur langue. (V. Šišmarev, op.cit., p. 109-110). Dautant plus il ny a pas de contradiction entre ces données et celles qui viennent de lanalyse de la liste de Pierre Martin de 1777: les chiffres quon donne se rapportent presque exclusivement à ceux des immigrés français de Moscou qui vinrent en Russie eux-mêmes et ne furent pas engagés par les recruteurs (vyzyvateli), peut-être aussi à quelques uns qui prirent la fuite pendant le trajet des colons de Saint-Pétersbourg à Saratov, mais en aucun cas aux colons français de Saratov. Martin nindique que lorigine de deux familles sur toutes celles qui étaient venues de Saratov à Moscou. La grande divergence des données sexplique sûrement par le décalage qui existait entre les régions qui répondirent par elles-mêmes à lappel venant de la Russie et celles où limmigration était engendrée par les recruteurs.
[33]Sur la base de lanalyse des listes publiées dans Sankt-Peterburgskie vedomosti, 1793, n 47-51.
[34]Sur la base de lanalyse statistique du registre consulaire: ADN, Saint-Pétersbourg, consulat, état-civil, n 1, Registre des naissances, mariages et décès. An X à 1821.
[35]Félix Tastevin, Histoire de la colonie française de Moscou depuis les origines jusquà 1812, Paris-M., 1908, p. 3-4; Ysarn de Villefort, Relation du séjour des Français à Moscou et de lincendie de cette ville en 1812, par un habitant de Moscou, suivi de divers documents relatifs à cet événement, le tout annoté et publié par A.Gadaruel (Ladrague), Bruxelles, 1871, p. 74-75.
[36]V. ci-dessous les chiffres pour Saint-Pétersbourg de la fin du XVIII siècle qui confirment cette supposition.
[37]Dans la majorité des cas le métier nest pas indiqué, ce qui rend presque impossible lanalyse statistique.
[38]Sur la base des listes du journal Sankt-Peterburgskie vedomosti, 1793, n 45-46.
[39]Lancé par les soldats de la Grande Armée aux Français Moscovites, ce mot, à y bien penser, a quelque chose de juste, tout en restant un paradoxe.
[40]ADN,
Moscou, consulat, n 1, p. 54.
[41]Ibid., p.
167-168.
[42]On ne sait pas combien étaient les frères Le Maignan ou les frères de Landre.
[43]Najdenov, op.cit., vol. 4, p. 434-474.
[44] : - XIX , vol. 2, t. 1, p. 40. Ce fait donnera un excellent prétexte pour une campagne initiée par les marchands russes de Moscou contre les étrangers en 1805.
[45]On a en vue les précepteurs, les cuisiniers, les maîtres dhôtel, etc. qui étaient effectivement directement dépendants des nobles qui les engageaient, à la différence, disons, des marchands ou des militaires.
[46]Tandis que les militaires faisaient presque défaut dans la communauté française de Moscou à la fin du XVIII siècle.
[48]Documents des églises catholiques de Moscou, BNR, département des manuscrits, raznojaz., F-II, n 27/1, f. 81 sqq. (Pour la description et lanalyse sommaire de ces documents voir: V. Somov et V. Ržeuckij, - XVIII (à paraître [hélas, cest toujours en projet. Mais jai largement puisé dans ce fonds précieux lorsque jécrivais sur Léglise catholique et la communauté francophone à Moscou à la fin du XVIII siècle , article en russe qui vient de paraître dans les Cahiers du monde russe à Paris et que jai le plaisir de présenter sur ce site V. R.]). On peut penser quil sagit des seigneurs de ces mêmes Français dont les enfants étaient parrainés par ces aristocrates. Or ce nest pas le cas, sinon il faudrait admettre que ces Français pouvaient passer tout le temps dun seigneur à lautre.
[49]Najdenov,
op.cit., vol.3-4.
[50]Ibid., vol.
4; Martynova-Poniatovskaya, op.cit.
[51]V. au sujet des libraires français de la fin du XVIII - début du XIX siècle à Moscou les articles cités de Martynova-Ponjatovskaya, op.cit., vol. 1, , p. 113-131, (1799-1812) (1805-1810), p. 153-180. Faits essentiellement sur la base dune seule source, le journal Moskovskie vedomosti, ces articles fournissent une information dune richesse exceptionnelle.
[52] , XVIII . L., 1985, vol. 3, p. 180.
[53]Se trouve au RGADA ; cf. ibid., vol.3, p.191.
[54]Ibid., vol.
3, p. 192.
[55]Cette conclusion découle de lanalyse des registres de mariages et de baptêmes des églises catholiques de Moscou: églises des Saints Apôtres Pierre et Paul et Saint Louis des Français. Bibliothèque nationale de Russie, département des manuscrits, raznojaz., F-II, n 27/1, f. 81-109, n 27/2, f. 552 et suiv.
[56]Récapitulation ou Etat de tous les actes passés et contenus dans le Registre du Consulat Général de France à Saint-Pétersbourg, AN, Affaires étrangères, B-I-988, f. 138-139.
[57]Moskovskie vedomosti, 1793, n 47-51.
[58]BNR, département des Manuscrits, raznoiaz., F-II, n 27/1, loc. cit.
[59]Lapparition dune importante couche de la nouvelle noblesse , de la noblesse de service pour la plus grande partie, parmi les Français de Moscou dans la première moitié du XIX siècle et limportance de ce phénomène pour la compréhension des processus dassimilation et de la résistance à lassimilation, devront encore être étudiés.
[60]La généalogie de cette famille est reconstituée daprès les sources multiples, notamment inédites: le fonds des églises catholiques de Moscou, BNR, département des Manuscrits, raznojaz., F-II, n 27/1; Archives historiques dEtat de Russie (RGIA), F. 1343, inv. 3, dossier 663; inv. 20, dossiers 936-938.
[61]Comme le fera labbé Adrian Surugue, pendant plusieurs années, après avoir quitté la pension de labbé Nicole à Saint-Pétersbourg, engagé en tant que précepteur dans la famille du comte A.Musin-Puskin, président du Saint-Synode, découvreur du Dit de lOst dIgor.
[62]Mais dabord et surtout vice-consul de France qui remplaça Pierre Martin.
[63]Il sagit naturellement de Sretinka.
[64]Documents des églises catholiques de Moscou, BNR, département des Manuscrits, raznojaz., F-II, n 27/1, f. 291.
[65]Documents officiels et procès-verbaux ayant rapport aux fondations diverses des Français domiciliés à Moscou, 1789-1892, Moscou, 1892, p.14-17.
[66]Ibid.
[67]Ibid.,
p.21.
[68]Dès la fin du XIX siècle le Pont des Maréchaux devient le synonyme de la présence des Français à Moscou, de la communauté française et de linfluence française.